lundi 2 mars 2009

Science et religion, une fausse symétrie...

Je rumine ma pensée, mais ne la domine pas avec dextérité. Parfois, je l'exprime et souvent, je me perds en digression. Heureusement, il y en a d'autres qui sont plus clair que moi...

Cet article et le précédent sont de la plume du Professeur Jean Bricmont.

Je le remercie vivement de me laisser le loisir de les poster sur ce blog.

Jean Bricmont Professeur de physique théorique à l'UCL

Dans Le Soir du 12 février, un collectif de professeurs de l'UCL et des Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix rendaient hommage à Darwin, en critiquant à la fois le créationnisme et l'interprétation « unilatérale (de l'évolution) par les matérialismes » ainsi que le « réductionnisme absurde » de certains scientifiques qui « prétendent fonder l'athéisme de conviction sur l'athéisme méthodologique de la science ». Cette façon de rejeter dos à dos les créationnistes et les « matérialistes » permet aux intellectuels chrétiens modernes de présenter leur position comme une sorte de juste milieu. Mais cette façon de « sauver » la religion est illusoire.

Tout d'abord, pour bien comprendre l'impact de la science (et pas seulement du darwinisme) sur la vision religieuse du monde, il faut se rappeler ce que celle-ci était, mettons au XVIIIe siècle. À l'époque, la Bible était considérée comme un livre d'histoire et, donc, était prise à la lettre. La morale était définie par les prescriptions religieuses dont le respect était garanti par la peur de l'enfer. La vie quotidienne était remplie de récits de miracles et de prières exaucées. De plus, cette vision était imposée dès l'enfance et était rarement critiquée, vu que des États absolutistes la protégeaient par des moyens totalitaires. La religion remplissait toute l'existence humaine et ne se réduisait pas à une simple méditation sur le « sens ».

C'est cette vision du monde qui est devenue petit à petit intenable face aux progrès des sciences et au développement de la réflexion critique. Il est d'ailleurs assez injuste de taxer de « fondamentalistes » ceux qui, aux USA et dans le monde musulman adhèrent encore à cette vision des choses – ils sont simplement « vraiment » religieux, au sens que ce terme a eu en Europe pendant des siècles.

Il n'est par conséquent pas étonnant que les Églises se soient opposées à tous les progrès scientifiques, pas seulement à Galilée et Darwin, mais aussi à Buffon, à la géologie, au paratonnerre, à la vaccination, à l'anatomie et à la dissection, ou à l'étude scientifique de l'esprit. Dans toutes ces batailles, les Églises ont fini par être vaincues. En ce qui concerne les savants chrétiens, il faut bien constater qu'il y en a de moins en moins. Dire qu'il n'y a pas de conflit aujourd'hui entre science et religion, c'est comme dire qu'il n'y avait pas de conflit entre la France et l'Angleterre après Waterloo.

La notion de « matérialisme », critiquée comme « unilatérale » par le collectif de professeurs, peut prendre beaucoup de sens différents, mais une notion minimale consiste à affirmer la continuité entre l'homme et le reste du monde naturel, c'est-à-dire à penser qu'il ne faut pas invoquer une âme détachée du corps ou un principe vital irréductible à la physico-chimie pour expliquer l'esprit ou la vie. Mais c'est exactement ce que signifie l'évolution des espèces, combinée au rejet du vitalisme en biologie. Loin de se tenir à mi-chemin entre créationnisme et matérialisme, l'évolution des sciences a apporté un soutien énorme à la vision matérialiste du monde.

Face à cela, les chrétiens modernes acceptent la science et l'évolution et se réfugient dans un discours sur le « sens » ou la « signification », qui est supposé transcender le discours scientifique, mais qui est surtout extrêmement édulcoré par rapport au discours religieux classique. Cependant, même cette échappatoire pose de nombreux problèmes.

En effet, si le « sens de l'existence » consiste en une vie après la mort (et s'il ne s'agit pas de cela, qu'est-ce que cette expression peut bien vouloir dire ?), demandons-nous ce qui se passe avec une personne de 80 ans qui décède dans un état comateux. Reste-t-il dans cet état pour l'éternité ? Revient-il à un état antérieur, celui qu'il avait à 60 ans, à 40, à 20 ? Voilà typiquement une question à laquelle « la science n'a pas de réponse ». Mais qui en a ? La théologie ? Est-il rationnel de tenter d'y répondre en interprétant des textes supposés sacrés, remplis d'incohérences et qui se trompent sur la plupart des faits vérifiables ? Faut-il au contraire répondre à ce genre de questions en faisant confiance à son intuition ? Faire de cette réponse un choix arbitraire ? Un acte de foi supplémentaire ? Combien de tels actes sont nécessaires ? Tout le discours religieux sur le « sens de l'existence », qui est supposé appartenir à « un autre ordre » que celui de la science peut passer pour plausible tant qu'on ne lui donne aucun contenu et qu'on ne se pose pas de questions concrètes à son sujet ; mais dès qu'on le fait, et on peut multiplier ce genre de questions à l'infini (que signifie la toute-puissance divine par exemple ?) la vacuité de ce type de discours métaphysique devient manifeste.

Pour rendre compatibles les visions scientifiques et religieuses du monde, les chrétiens modernes doivent imaginer qu'un dieu tout-puissant a choisi de créer le monde, de le laisser évoluer selon les lois de la physique, de laisser agir un processus extraordinairement brutal (la sélection naturelle) et a décidé un beau jour de donner une âme immortelle à un individu dont les parents étaient de simples animaux. C'est évidemment possible, mais pas très plausible. De plus, comme le faisait remarquer Bertrand Russell, « N'y a-t-il pas quelque chose d'un peu grotesque dans le spectacle d'humains tenant un miroir devant eux et trouvant ce qu'ils y voient assez parfait pour démontrer qu'un dessein cosmique y tendait dès l'origine ? » (Science et religion, Gallimard).

Avant d'appeler les scientifiques à « prendre conscience du caractère inéluctablement partiel de leur savoir », les intellectuels chrétiens feraient peut-être bien de s'interroger sur la cohérence de leur propre discours. Et comprendre que ce n'est pas seulement la science, cette idiote, qui est limitée, mais l'esprit humain tout entier.

Au début de l'ère moderne, Francis Bacon faisait remarquer que la vérité émerge plus facilement de l'erreur que de la confusion. La religion classique était une gigantesque erreur, contre laquelle la science moderne s'est en grande partie construite ; le christianisme moderne, quant à lui, a simplement remplacé l'erreur par la confusion.

2 commentaires:

jean-marc Ancelin a dit…

Je me souviens de mon grand-père qui était croyant. Veuf, il s'était remarié. Vers la fin de sa vie, une de ses grandes questions était: "Ma vie après ma mort, avec qui je vais la passer? Avec ma première ou deuxième femme?" Voilà le genre d'angoisse que génèrent les catholiques. Il n'aurait pas pu mourir plus sereinement?

dieunexistepas a dit…

Merci Jean-Marc pour votre commentaire.

Vous nous donnez là un exemple concret de l'angoisse que peux générer une croyance, alors qu'elle devrait être là pour les soulager...

Bien à vous,